La Frégate
Une splendide demeure de La Californie, disponible à la vente.
Cette demeure de La Californie, disponible à la vente, illustre parfaitement l’engouement d’une certaine société pour Cannes et la Belle Époque.
Ernestine Drapier, née Wallon, perd prématurément son époux. En mourant, ce dernier lui laisse sa fortune. La jeune femme convole en seconde noce avec le Commandant Trillot, colonel d’armée responsable des instruments de mesure de la marine. Ensemble, ils acquièrent un terrain sur La Californie. En 1900, l’enfant de la terre, originaire de l’Aisne, et le marin y font bâtir une demeure dans le pur style de l’époque. L’hôtel particulier, l’un des seuls du quartier à ne pas faire l’objet d’une copropriété, s’étend face à la Méditerranée, aux îles de Lérins et au massif de l’Estérel. L’amour de la mer, le Commandant Trillot y fait allusion dès le portail, sur lequel l’ancre de marine est apposée. La même que celle gravée sur l’argenterie d’une famille d’agriculteurs dans le Pas-de-Calais (les arrières petits neveux d’Ernestine). Mais la pièce la plus significative reste le vitrail de la cage d’escalier représentant des navires de guerre. En hommage aux origines de la demeure, on distingue, dans un léger renfoncement, une photo d’époque à l’effigie du Commandant et de sa femme.
Lorsqu’ils l’acquièrent voilà six ans, les actuels propriétaires découvrent une maison en piteux état. Ils décident alors de lui redonner son faste d’antan. On y pénètre par l’arrière. Un cèdre trois fois centenaire, le plus vieux de La Californie avec 6,7 mètres de circonférence, occupe la partie gauche. Une statue à la blancheur immaculée en dit long sur le style du lieu. Deux lions signent l’entrée, matérialisée par une lourde porte de bois. Dans le hall de réception, une imposante console de marbre, finie à la feuille d’or et surmontée d’un miroir assorti, rappelle qu’ici l’opulence reste de rigueur. L’immense lustre à pampilles, les vitraux, l’escalier, minutieux travail de marqueterie, renforcent l’effet. Très vite, on se trouve dans les pièces à vivre : le salon aux épais rideaux beiges et jaunes prolongé par une terrasse, le boudoir et sa cheminée, le ravissant bureau et la salle à manger, qui possède aussi un âtre, offrent une large part aux dorures, tapis soyeux et tableaux anciens. Comme dans toutes les bâtisses Belle Époque, on ne néglige ni les volumes de circulation ni la hauteur sous plafond. Le premier niveau, auquel on accède aussi par un ascenseur, accueille l’appartement de maître. Les nombreux pans de miroir agrandissent le lieu. Au sol, de la moquette blanche. De chaque côté de l’espace nuit, un petit salon. L’un des deux dissimule un dressing particulièrement bien agencé. La salle de bains en marbre présente une taille et une configuration peu communes. Une marche surélève la baignoire ; deux lavabos à la perpendiculaire déterminent les coins Madame et Monsieur ; une coiffeuse renvoie à une époque où les femmes réservaient un temps précieux à leur toilette. Toujours à cet étage, on compte encore deux autres chambres avec salles de bains. La vue en plongée y est sublime. La mer scintille entre la luxuriante végétation et les faîtes des illustres voisines, dont La Californie de Picasso. Les îles de Lérins s’allongent, langoureuses, et le massif de l’Estérel se dresse, souverain. On descend de deux niveaux et l’on visite deux chambres d’amis avec salles de bains, la salle dévolue aux sauna, hammam et jacuzzi, la cuisine et le salon d’été, car situés à proximité de la piscine. Pour la première fois, on sort dans le jardin et découvre l’architecture de la bâtisse. Tous les signes de la Belle Époque sont là : les balustres, la ferronnerie, les escaliers tournants, les frontons, les frises végétales, les éléments de décoration en relief… Si à l’intérieur, la symétrie semble parfaite, à l’extérieur, on note les harmonieuses ruptures de rythme. Une aile se détache de la principale dans une avancée nette et géométrique, l’autre se termine en belvédère arrondi. On finit enfin par oublier la construction centenaire pour ne plus voir que l’écrin naturel : des pins, des palmiers, des orangers, un gigantesque bougainvillier en fleur. Et puis, il y a les terrasses, les grandes jarres de marguerites, une seconde statue, une fontaine, des lampadaires d’un autre temps…
Pour la petite histoire, les 600 m2 sont mis en vente, meublés, à 240.000 Francs en 1919. A l’instar de Prosper Mérimée et Lord Brougham, Ernestine repose en paix au cimetière cannois du Grand Jas, face à la Grande Bleue et entre ses deux époux. A leur mort, les Trillot ont fait don d’une partie de leurs biens au corps des sauveteurs en mer. La Frégate perpétue cette rencontre sur fond marin.
Par Laetitia Rossi - Photos Edith Andreotta