Un château à Auribeau-sur-Siagne
Aujourd’hui à la vente, le château de Clavary nous ouvre ses portes.
Il est des lieux empreints de secrets. Ici, sur la commune limitrophe de Grasse, l’histoire côtoie la majesté. Aujourd’hui à la vente, le château de Clavary nous ouvre ses portes.
De l’origine du Château de Clavary, on ne connaît que la date : 1820. Le reste relève de la supposition. Le nom de la propriété serait inspiré de « lou clavaire » (prononcer clavaï), collecteur d’impôt. On sait que le domaine d’antan dépasse largement les limites de l’actuel. Les 30 ou 40 hectares qui le composaient sont morcelés en 1984, à la mort de Peter Wilson, le détenteur de Sotheby’s. Mais avant lui, le peintre Russell Greeley l’acquiert en 1925. Ce natif de Boston, diplômé d’Harvard, y coule des jours heureux avec son ami, l’artiste François de Gouy d’Arcy. Ensemble, ils reçoivent toute l’intelligentsia du XXe siècle. Dans une autobiographie, publiée en 1932, le peintre anglais Nina Hamnett évoque l’endroit : « La première fois, je crus que je pénétrais au paradis ». Elle se souvient de la visite de Stravinsky et de leur dégustation de caviar ou du séjour de Poulenc, particulièrement propice à la composition. La liste des invités qui se succèdent à Clavary jusqu’en 1938 donne le vertige : Brancusi, van Dongen, Marie Laurencin, Fernand Léger, Man Ray, Picabia, Dunoyer de Segonzac, Isadora Duncan, Cocteau, Max Jacob ou encore Paul Valéry… On raconte que peu avant sa disparition en 1973, Picasso a souhaité revoir une dernière fois la mosaïque surréaliste dont il avait, des années auparavant, doté le sol du hall de réception.
Deux épaisses colonnes de pierre marquent l’entrée de la propriété. C’est par une route pavée, bordée de cyprès, que l’on accède à la bâtisse victorienne. On est immédiatement frappé par la parfaite symétrie du dessin et par le détail de la construction, habillée de galets roulés rougeoyants. La cour s’articule autour d’une fontaine, installée dans l’axe de la porte du château, comme la route d’accès d’ailleurs. Ouvert de part et d’autre, l’endroit abrite la mosaïque réalisée par Picasso. Si l’œuvre en noir et blanc invite à la contemplation, elle rivalise avec le jardin que l’on distingue par la seconde porte. Et comme par enchantement, on se retrouve à nouveau à l’extérieur, devant le château cette fois-ci. Là, l’allée de cyprès se poursuit sur cent cinquante mètres comme si elle avait traversé la maison et troqué ses pavés contre un gazon finement coupé. Au bout, on aperçoit une seconde fontaine. On dit qu’elle provient d’une place aixoise. Très vite, on se rend compte que l’eau joue le rôle principal dans cet Éden botanique. La piscine se déverse dans un bassin, situé sur le passage des canards sauvages. Nénuphars, petit pont de bois et plage de teck confèrent à l’ensemble son exotisme. Tout comme la forêt de bambous qui le sépare d’un jardin à la française. Ce dernier arbore un deuxième bassin, bien dans l’esprit versaillais celui-là. Toujours dans la continuité, un ruisseau serpente au cœur d’un jardin japonais. Le vent agite de gigantesques tiges agrémentées de voile imprimé… des prières chinoises, semble-t-il. On revient vers le château par une route recouverte de graviers, entièrement parallèle à la première allée et à une seconde identique, de l’autre côté. Décidément, rien n’a été laissé au hasard ; l’agencement végétal obéit à une rigoureuse géométrie. Sur la partie droite, la maison d’amis et la roseraie voisinent avec un univers minéral et contemporain, auréolé d’un troisième bassin. Le concepteur a fait en sorte que, une fois dans l’année, lors d’un solstice, le soleil s’y couche après avoir embrasé l’arcade formée par la salle à manger d’été. Au détour d’un fût, sûrement issu des parfumeries grassoises, on découvre un espace dévolu aux plantes grasses. Ici, une folie ; là, des statues provenant d’un parc new-yorkais, un petit étang, un labyrinthe de buis, une chapelle où l’on donne encore la messe… Le paysagiste s’adresse à l’affect, joue sur les couleurs et les matières, les ruptures de rythme, les différents reliefs. L’œil effectue les allers-retours entre les grands arbres et la végétation basse avant de laisser s’exprimer l’harmonie sans plus chercher à la rendre intelligible. Il s’agit sans doute de l’un des plus beaux parcs privés de la région.
Deux heures plus tard, on la voit enfin… La vue, pourtant si prisée lors des acquisitions immobilières, s’était faite discrète devant tant de beauté naturelle. Sis au sommet d’une colline, le château s’ouvre sur la plaine de Grasse, les hauteurs de Cabris et la mer. Soudain, on discerne la Fondation Saint-Jacques-du-Couloubrier. L’ancienne propriété de Jacques Prouvost partage la vedette avec le Château de Clavary et Saint-Mathieu-du-Couloubrier, appartenant jadis au PDG d’Agip.
La noblesse, on la trouve également à l’intérieur de la demeure principale : des marbres en trompe-l’œil sur tous les murs, des portes en bois peintes ou une montée d’escalier rehaussée de mandarins. Point de luxe ostentatoire, plutôt un charme désuet. Seule l’entrée sépare le salon de la salle à manger. Le peintre Jean Hugo appelait la pièce, centre névralgique de cette incroyable symétrie, « le fumoir ». Les deux niveaux supérieurs accueillent les chambres.
Par Laetitia Rossi - Photos Edith Andreotta