Un domaine près d’Aix-en-Provence
Visite d'un bien surprennant par sa dimension et sa variété de paysage.
A l’heure où chaque mètre carré se négocie à prix d’or, certains biens disponibles à la vente surprennent par leurs dimensions et leur variété de paysage. Balade aux portes de la Provence Verte…
Il est des lieux qui inspirent la sérénité, des terres où la nature reprend ses droits… Le bâti épouse la colline, s’évanouit sur les rivages d’un lac ou disparaît devant la forêt. Si la demeure développe 800 m2 habitables, l’ensemble s’étend sur 120 hectares entièrement clôturés, soit soixante-douze hectares de bois, quarante-cinq de prairie et trois d’eau. Le domaine remplit les conditions de la propriété agricole. La vocation actuelle ? L’élevage d’animaux sauvages. Sans doute, la conversion en chasse privée est-elle envisageable. Mais le présent propriétaire ne se montre pas intéressé par l’activité. Avec les animaux, deux cent cinquante têtes au total, des mouflons, des daims, des cerfs d’Europe, d’Inde ou du Japon, des chevaux et autres sangliers, il cohabite en bonne intelligence. Installé sur la terrasse ou au volant de son 4 x 4, il observe médusé le bal des biches et la majesté du grand cerf. Surprenant, lorsque l’on songe que l’on se trouve à seulement trente minutes d’Aix-en-Provence…
C’est en passionné qu’il anime la visite : ici, à l’abri des vents dominants, des ruines romaines des Ier et IIe siècles. La propriété est répertoriée comme l’une des plus anciennes implantations de la région. D’ailleurs, à l’instar de Rome, sept collines l’entourent. Un chiffre décliné en multiple dans le compte des ouvertures de la façade principale. Là, un pressoir, vestige d’un temps où l’on cultivait l’olivier. Autre référence à l’ancestral occupant : le marbre de la table extérieure, issu de la carrière de Candelon, le même qui composait le sol de la villa romaine. La balade réserve son lot de surprises : un pic rocheux de trente mètres, une percée sur la montagne Sainte-Victoire, une source, une cascade… Le maître des lieux se rappelle le cirque de capture, où quatre cent cinquante bêtes, dont les rares mouflons de l’Atlas, s’engouffrèrent en direction d’autres parcs animaliers. Il évoque la visite successive de trois personnes venues revoir la maison et les mûriers de leur enfance. La poésie rythme le discours. Dans la parole comme dans le geste, l’homme n’a rien perdu de l’émotion initiale, qui l’a amené, avec femme et enfants, à s’installer dans ce petit coin de paradis.
Adopter un lieu, une histoire, transformer les volumes, imaginer des espaces de vie… Rien d’effrayant pour cet architecte de formation. Dans cette maison, en perpétuel renouvellement, il évoque le design, sa discipline de prédilection. La conception intérieure tranche radicalement avec l’idée que l’on se fait de la bastide provençale. Seule la terre cuite au sol rappelle le style originel. Les volumes s’étalent sans rupture, le jeu de perspective sert la structure : un demi-niveau, une arcade, des poutres apparentes, des pans immaculés, de sensuelles rondeurs… Le végétal s’invite par chaque ouverture. La cuisine américaine ouvre ainsi sur un coin repas, une salle de billard, un petit salon, une bibliothèque ou une salle à manger. Le designer a imaginé la table en accord parfait avec les incroyables chaises Leggera, qui, comme leur nom l’indique, affichent un poids plume. Il signe également la bibliothèque, qui tient sans aucune vis, uniquement grâce à une approche bien sentie du rapport masse-équilibre. Le meuble lui a apporté ses premiers succès mais ne l’inspire plus désormais qu’à titre personnel. Celui qui a commencé chez Tectona, Lafa ou Disderot, l’un des seuls Français invité à concevoir un prototype pour la marque Knoll International, a depuis pénétré d’autres sphères. « Moins élitistes, loin de l’abatage médiatique, souvent pompeux, autour d’une offre pseudo contemporaine. » Le touche-à-tout génial a donc planché pour les jouets Berchet et se trouve à l’initiative de la marque de puériculture Beaba. Parmi ses réalisations, les jeunes mères ne peuvent ignorer le fantastique, séduisant et ultra rapide Babycook… « Ces secteurs rendent au design leur vraie valeur : un objet utile en son temps, beau dans sa facture, et, contrairement à l’œuvre d’art, amené à disparaître. Les Anglo-Saxons ne s’y sont pas trompés, ils entendent sous le terme design, dessin et dessein : une belle forme au service d’une fonction. » Le professionnel insiste sur la dimension démocratique : « Le design permet de pénétrer anonymement tous les foyers en donnant un sourire aux choses ».
Les portes du bureau franchies, on emprunte l’escalier de bois blond qui ouvre sur un univers sobre, géométrique, monacal. Des niches abritent des statuettes primitives de terre ou de métal, la partie droite accueille les tables à dessins. Où le professionnel se plaît à « traduire la réflexion dans l’émotion, un équilibre infime, difficile à atteindre : trop de l’un et l’on reste technicien, trop de l’autre et l’on devient styliste ». La pièce regorge d’innovations, de secrets… Tout comme l’avenir de notre hôte (peut-être sur la Côte d’Azur dans une demeure à la contemporanéité débridée), cela appartient à une autre histoire…
Par Laetitia Rossi - Photos Edith Andreotta