Une contemporaine au Cap Ferrat
Cette villa, à la vente, apparaît tel un navire suspendu au-dessus du cap.
Le blanc épouse le noir ; la ligne devient intemporelle et laisse la vedette au décor naturel. La bâtisse, aujourd’hui à la vente, apparaît comme un navire suspendu au-dessus du cap. La piscine ébène semble déverser sa substance dans la Méditerranée, participant ainsi à une étrange dramaturgie.
De l’extérieur, on ne la devine pas. On aperçoit tout au plus les moulures d’une maison Belle Epoque. Dans le quartier des Fosses, à quelques mètres de la plage éponyme, seul un mur mariant la pierre provençale et le très moderne gris anthracite indique l’entrée. L’accès diffère des habituelles allées de cyprès, souvent observées dans les propriétés de la Côte d’Azur. Un large escalier, presque austère, mène à une immense porte ébène et Inox. La première impression relève de la surprise. La réception joue sur le dépouillement, une ingénieuse mise en scène que vient renforcer trois éléments forts : des marches de verre et d’acier, lumineuses le soir venu, une étrange desserte aux longs pieds, flottants et rouges, et un aquarium, le même qui occupe un pan de mur dans le salon. Le parti pris est clair : la contemporanéité s’exprime sans compromis. Dans le séjour, l’harmonie naît des alliances improbables : des poufs Fendi zébrés tiennent la dragée haute à de confortables canapés unis en velours, une chaise Le Corbusier, un divan vert fluo et à un banc en Inox Philip Plein. Les ovales côtoient les rayures. Les imprimés s’opposent avec délectation. Aux deux espaces de détente succède une salle à manger ronde, comme le cadre dans lequel elle s’inscrit, noire, à l’instar du sol en pierre d’Iran. Ici, les extrêmes s’attirent, le yin et le yang, mais sans manichéisme. La nuance, on l’accepte et le gris facilite les enchaînements. Le choix des luminaires est pointu, on trouve des signatures telles que Foscarini, Fontana Arte ou Mario Botta. Un second aquarium établit le lien entre le séjour et l’extérieur. Quelle stupéfaction d’y découvrir des requins… Mais le meilleur reste à venir : la plage de teck s’évanouit dans une piscine miroir de mosaïque noire, bout du monde entre ciel et mer. La sensation d’infini serait absolue sans le palmier central ; la végétation rappelle que l’on se trouve sur l’un des plus beaux caps du pays. Depuis la terrasse et le plan d’eau troué d’hublots, on plonge sur le Château Saint-Jean et on revoit les moulures Belle Epoque, qui appartiennent en réalité à la maison d’ami. On surplombe la péninsule et sa partie nommée Saint-Hospice. A l’est, on découvre la carrière qui a alimenté la construction du quartier monégasque de Fontvieille. Le site minéral a d’ailleurs donné son nom à un célèbre pieds dans l’eau voisin. La vue donne le vertige, l’esprit divague…
Retour à l’intérieur. Le regard traverse le living et la réception, direction la cuisine. Reconnaissable entre tous, le style Boffi marque de son empreinte le troisième univers. Gaggenau réalise l’électroménager. Le coin repas, surmonté d’une verrière opaque, flirte avec un bureau. La pièce se termine dans une bulle de verre, sur un canapé de la même couleur fluo que le précédent. Puis, il y a les nombreux écrans plasmas, les claviers depuis lesquels on commande la lumière, le son, la télévision, la climatisation ou le chauffage. Domotique dernier cri, AMX, Microsoft et système Lutron, le maître incontesté des ambiances lumineuses, gèrent le confort. D’autres écrans, muraux et tactiles ceux-là, servent à la sécurité.
Le deuxième niveau commence bizarrement par une chambre d’enfant rayée blanche et rouge, drôle de boudoir avant la suite principale. L’espace nuit fait la part belle au mobilier laqué orange et noir. Une tête de lit gris perle monte à 2,50 mètres. Ingo Maurer dessine une lampe. Inutile de préciser que toutes les orientations dont il bénéficie offrent autant de tableaux vivants. Les murs se parent de stuc blanc, les sols, de chêne teinté noir. Un dressing japonisant sépare la chambre de la salle de bains. On remarque immédiatement le fauteuil Charles Eames. Boffi et Agape dotent l’endroit dévolu aux ablutions de leurs classiques. Le clou du spectacle réside dans la double douche hammam en pierre noire d’Iran. A ce stade, on pense la visite terminée… Loin s’en faut.
Un ascenseur conduit à une chambre située dans la tour et à un étage, deux niveaux plus bas, jusqu’alors imperceptible. Le long couloir auréolé de photographies monumentales serpente sous la piscine. Il dessert un bar taillé dans la roche, une cave à vin en transparence, une salle de cinéma, une autre dédiée au sport et encore quatre chambres, avec salles de bains en lave et mosaïque, fermées de portes en laque noire. L’immaculé semble s’être effacé au profit du sombre. Des flambeaux Cattelani et Schmidt éclairent le passage. Une suite retient l’attention : sa tapisserie encre de Chine, ses meubles modernes, ses torches Lumen Center et sa tête de lit en cuir. Au terme de ce dédale, le garage. On ne le mentionne jamais, tant il s’avère habituellement dépourvu d’intérêt. Celui-là échappe à la règle : sa capacité d’accueil (huit voitures) est suffisamment rare sur le cap pour mériter le signalement.
On compte plus de 550 m2 habitables sur 1700 m2 de terrasses, gazonnées ou recouvertes de teck. Un membre du cabinet Architectes Associés basé à Saint-Jean Cap Ferrat évoque les trois années de travaux pendant lesquelles les propriétaires ont habité la villa aujourd’hui réservée aux amis. Cette dernière allie le charme de l’architecture Belle Epoque, la modernité d’un toit plat, devenu solarium et la contemporanéité débridée du traitement intérieur. Le professionnel se rappelle la maison principale, « une ruine des années 1920, entièrement vidée et restructurée », et parle avec passion de chaque étape de la renaissance : le terrassement, la création de la route d’accès, la mise en eau de la piscine. Le niveau pour lequel on a creusé, les essais de couleurs sur les façades, le calepinage des plages. Une entreprise colossale au cœur d’un Éden sans équivalent…
Par Laetitia Rossi - Photos Edith Andreotta