Les grands domaines
Tradition française, l’attachement à la terre constitue une valeur sûre.
Tradition française, réminiscence d’un temps féodal où le fief faisait force de loi, l’attachement à la terre constitue une valeur sûre.
A l’heure du tout virtuel, du règne d’Internet et de l’achat en ligne, certains rêvent de possessions concrètes. Lorsque les marchés financiers s’effondrent, la terre, elle, demeure. Et ces dernières années ont été dans le sens de la pérennité de sa valeur. Il ne s’agit pas d’acquérir un petit lopin, mais véritablement un domaine : un ancien territoire agricole, des champs d’oliviers, un moulin, une vieille bastide de 800 à 1000 m2 constituée de murs en pierres épais. Ces propriétés, qui s’étirent à perte de vue, dominent un village ou plongent dans la vallée. Bien souvent, en leur milieu, coule une rivière ou s’épanouit un lac. On pénètre dans ces bâtisses, sans luxe ostentatoire, par une lourde porte de bois ; les pièces de réception sont spacieuses, le son des réunions de famille y retentit encore. Ici, des tommettes ou des feuillets anciens, là une fresque qui demande rafraîchissement. Selon les époques de construction, les étages se multiplient ou les volumes s’étalent, les lignes s’arrondissent ou marquent des angles. La hauteur sous-plafond surprend les habitués de réalisations récentes, où chaque mètre carré est rentabilisé. Dans ce choix, c’est le retour à la nature, la volonté de rassembler, l’amour du patrimoine et le respect du temps et de son empreinte qui s’expriment.



Philippe Planchet de l’agence Emile Garcin précise que « la Côte d’Azur n’est pas à proprement parlé réputée pour ses domaines ». En effet, la seconde destination touristique française, bien que très protégée contre « l’urbanisation sauvage », ne présente plus beaucoup de terrains disponibles à la vente. Le Var et ses ensembles viticoles, le Lubéron, voire l’Hérault semblent plus indiqués. Le domaine s’avère donc affaire de niche. Sur le littoral, et sur les caps en particulier, leur part reste anecdotique. Au Cap d’Antibes, ils ont déjà été acquis par les Russes et le Cap Ferrat arbore des portions de terre plus réduites. Maria-Anna Burger de l’agence Burger Sotheby’s International Realty Côte d’Azur indique que, sur la partie ouest du Cap Martin, il y a quelques propriétés à caractère historique qui possèdent plusieurs hectares. Petite aparté qui en dit long sur l’effet rareté : si l’une d’elles arbore un accès direct à la mer, compter un coût de 50.000.000 €. Bien sûr, il s’agit là d’une exception. Il convient donc de s’éloigner de la Grande Bleue : prévoir une demi-heure en voiture des centres de Cannes, Antibes, Nice et Monaco.
Pour Philippe Planchet, 60 % des domaines nécessitent une rénovation. Les Anglais, les Hollandais, quelques Américains et de riches industriels français se montrent très friands de ces biens. Ils en font, pour la majorité, leur résidence secondaire. La demande reste supérieure à l’offre, même si les clients de l’immobilier azuréen préfèrent largement les bords de mer. La mobilité très faible s’explique par le désir de les conserver dans le giron familial. Certains sont prêts à faire beaucoup de sacrifices matériels dans cette optique.
« Comme dans tout micro-marché », poursuit le professionnel, « la rareté justifie souvent le niveau de prix ». 4.000.000 € constituent le minimum requis pour un produit en bon état, 15.000.000 € le maximum de principe pour des lots qui excédent rarement les vingt hectares. Gilles Pieri de l’agence Capital Immobilier place Saint-Paul en première position : pour deux hectares de terrain et 600 m2 habitables, tabler sur une fourchette de 7.000.000 à 8.000.000 €. Le même bien à Mougins : de 6.000.000 à 7.000.000 €. 5.000.000 € à Grasse et 4.000.000 € dans l’arrière-pays niçois. A surface habitable équivalente, le label domaine double le prix. Attention, le coût de l’entretien n’est pas négligeable non plus. Si on s’adonne à une exploitation agricole, on peut bénéficier d’un allègement fiscal qui le compense. Enfin, lorsque la bâtisse est classée historique, on se doit de respecter certaines contraintes dans sa rénovation. Il y a très peu de produits à la vente. Maria-Anna Burger évoque un château construit à Valbonne entre 1920 et 1930 sur huit hectares de terrain, un domaine de seize hectares à Mougins, une ancienne terre agricole de sept hectares à Grasse, dont la production était jadis employée à la parfumerie.
« L’investissement répond à l’exigence de plaisir », selon cette spécialiste de l’immobilier. Les intéressés doivent savoir que l’étendue de terre n’est pas synonyme de droit systématique au morcellement et de répercussion proportionnelle sur la surface habitable autorisée. On comprend que ces domaines ne fassent pas l’objet d’une spéculation débridée de la part des promoteurs. Certains les acquièrent dans la volonté de les transformer en maison d’hôtes, mais cela concerne encore des cas isolés. Par le biais du domaine, on réunit, on transmet, on retrouve la valeur de la terre. Les fins psychologues soulèveraient une foule de motivations profondes, mais contentons-nous d’apprécier la beauté de ces lieux enchanteurs, de ces sites hors du temps…
Par Laetitia Rossi - Photos Edith Andreotta