Les pieds dans l’eau

Difficile de soumettre le micromarché au crible d’une analyse classique. Pour en prendre la pleine mesure, il suffit de réaliser que la Côte d’Azur partage les prix les plus élevés du pays avec l’Ile-de-France et le Genevois Français et que la villa sur la mer en est le fleuron…

Je suis toujours émerveillé quand je parcours les rivages côtiers, et plus précisément ceux de la Côte d’Azur ». Le constat vrai en 1987, lorsque Michel Chassagne crée Waterfront Property, une agence immobilière spécialisée dans le pied dans l’eau, demeure toujours d’actualité vingt ans plus tard. Entre temps, le professionnel et son bras droit, Sonia Kovac, visitent plus de la moitié des 1957 propriétés concernées entre Menton et Saint-Tropez. Une ténacité qui leur vaut aujourd’hui l’immense privilège d’en présenter plus d’une cinquantaine à la vente. « Comme tout micromarché, le segment obéit à des critères d’évaluation bien particuliers en plus des paramètres classiques (surfaces, état, prestations). Les valeurs sont d’autant plus élevées si la maison se trouve sur un cap. On en compte trois dans les Alpes-Maritimes, Martin, Ferrat et d’Antibes, et deux dans le Var, le Cap Bénat et la presqu’île de Saint-Tropez. Il apparaît également que la proximité de Cannes ou de la cité tropézienne gonfle le prix. De même, l’est varois l’emporte en matière de coût sur l’ouest qui aurait tendance à davantage se rapprocher de Marseille ou de la Côte Bleue. Ce fameux bien, s’épanouit-il dans les environs d’un aéroport ? Si oui, on préfère le pôle niçois à celui de Hyères. Y a-t-il un port pas loin ? Les amateurs de villas sur l’eau se montrent également férus de yachting. Rentre aussi en ligne de compte le caractère exceptionnel. Certains recherchent par exemple le facteur insulaire, possible en Corse, à Porquerolles, au Levant ou au Ribaud. Ensuite, il convient d’examiner avec précision l’accessibilité à la Méditerranée : se trouve-t-on sur une falaise ? Le terrain se termine-t-il par des rochers à fleur d’eau ou par une plage de galet, voire de sable ? Le panorama n’embrasse-t-il que la mer, trou noir et béant la nuit venue, ou englobe-t-il la côte rendant la vue plus vivante ? Si on pousse encore : le tirant d’eau est-il suffisant pour accoster en bateau ? Les fonds marins s’avèrent-ils diversifiés au point d’en apprécier l’exploration ? » Les pieds dans l’eau azuréens comportent un certain nombre de nuisances : la Grande Bleue est en effet longée par la voie ferrée et par la route. Sur l’avant, passe le sentier littoral. Certaines propriétés ont à composer avec le brouhaha d’une plage publique, d’autres, avec le chant perpétuel des cigales.

Construite en 1904 et acquise dès 1950 par la famille du Prince de Reuss, cette demeure monumentale se caractérise par son éclectisme architectural. Chaque corps de bâtiment est traité de façon originale. Lovée dans un jardin paysager de 1500 m2, elle développe 700 m2 habitables (six chambres) et s’accompagne d’un pavillon de gardiens. Entre 20 et 25 M €. Michaël Zingraf (04 93 79 32 32).

A la pointe d’un cap et quelques encablures des commerces, cette propriété varoise bénéficie d’une parfaite quiétude. Elle abrite deux villas de plain-pied sur une parcelle plate de 3400 m2, l’une de 150 m2 et l’autre de 110 m2. Suffisamment rare pour mériter la mention, le COS autorise une construction jusqu’à 510 m2. Plus de 3 M €. Waterfront Property (04 92 99 09 01).

Toujours d’après les spécialistes, 5 % des pieds dans l’eau évoluent entre 250 et 450.000 €, 20 %, entre 450 et 750.000 €, la moitié, entre 750.000 et 1,8 M €, 15 %, entre 1,8 et 3,8 M €, 5 %, entre 3,8 et 7,6 M €, 5 % enfin, entre 7,6 et 25 M €. En matière de coût, le cap Ferrat, qui cumule l’adresse huppée et sécurisée, la proximité de l’aéroport de Nice, de l’Italie et de Monaco, arrive en tête. Aux dires de Jean-François Favelier de l’agence Burger Sotheby’s International Realty, certains biens exceptionnels s’envolent, atteignant parfois des niveaux indécents. « Il s’agit d’un marché régi par l’affect, le coup de cœur, suffisamment marqué par la pénurie pour ne jamais connaître la crise. Vivre face à la Méditerranée, qui plus est sur la Côte d’Azur, reste le rêve de tous ; des personnes argentées se montrent prêtes à y mettre le prix. » La demande est dynamique ; le travail de l’agent immobilier revient à dénicher la perle rare. Véronique Deguilhem de l’agence Michaël Zingraf insiste sur la confidentialité. « Sur ce type de produit plus que sur tout autre la discrétion s’avère de mise. Entre Villefranche-sur-Mer et Roquebrune-Cap-Martin, Irlandais, Anglais et Américains, des clients à fort pouvoir d’achat, se positionnent sur les pieds dans l’eau. » Michel Chassagne observe également la percée sur toute la côte des « papy-boomers » hexagonaux en quête d’une retraite au soleil. Les populations se répartissent selon leur budget et leur désir : elles sont discrètes sur le Cap Martin, exclusivement étrangères sur le Cap Ferrat, plus partagées à Antibes, davantage « VIP » à Saint-Tropez, familiales sur le Cap Bénat, fermé et sécurisé, et moins fortunées d’Anthéor à Saint-Raphaël.

Reste à évoquer un point et pas des moindres : la réglementation de cette petite parcelle entre la villa et la mer qui fait justement toute sa valeur. « De manière générale, tout ce qui se trouve à trois mètres de hauteur de la Méditerranée appartient à l’Etat », explique Michel Chassagne. « Ces ouvrages font souvent l’objet d’une concession. En échange, le bénéficiaire paie une redevance, entretient la bande côtière et s’engage à accueillir les personnes en difficulté arrivées par la mer. Il lui incombe aussi d’indiquer les limites de la dite concession. L’accès des tiers est autorisé, le stationnement, interdit. Renouvelable et pas transmissible, l’acte dure cinq ans. Sur la Côte d’Azur, il existe seulement trois ou quatre pieds dans l’eau intégrant la plage dans son titre de propriété.