Les Russes sur la Côte d’Azur
L’histoire d’amour dure depuis près d’un siècle et demi. Elle démarre avec l’attachement aux rivages méditerranéens de l’Impératrice Alexandra Féodorovna et se matérialise, aujourd’hui, par les spectaculaires prises de position immobilières des oligarques. Mais pas seulement…
Phénomène nouveau ou retour aux sources ? A Moscou, il est de bon ton de posséder une résidence secondaire sur les Cap d’Antibes ou Ferrat, à Monaco et Saint-Tropez, voire à Cannes et à Nice. Lorsque son prix se calcule en dizaines de millions d’euros et que la Méditerranée s’invite pleinement dans le cadre, on est au paroxysme de la tendance. De plus en plus jeunes, les milliardaires russes, mais aussi kazakhs, ukrainiens, polonais, tchèques, hongrois, roumains ou slovaques, défrayent la chronique immobilière, participent au gonflement des prix et font couler l’encre de la presse people. Une à une, les bâtisses historiques tombent dans leurs escarcelles. Boris Berezovski ouvre le bal en 1996 avec « Le Château de la Garoupe ». Une des dernières opérations en date concerne « La Primavera », probablement acquise moyennant une enveloppe dépassant les 100 M €. Entre, difficile de passer sous silence l’installation de Roman Abramovitch au « Château de la Croë » et le compromis record, vraisemblablement signé cet été, pour l’acquisition de « La Leopolda » et son sublime parc paysager sis sur la commune de Villefranche-sur-Mer, d'un montant de 500 millions de dollars. L’heureux propriétaire de la villa du Cap Ferrat baptisée « La Sorrentina » pourrait aussi faire partie de la liste russe, comme celui de « Visconti ». Si ces opérations marquent les esprits, elles restent, bien entendu, marginales et c’est à une seconde génération, moins fortunée mais tout aussi amatrice de belles choses, que se confrontent les professionnels.
« Les acquéreurs issus d’Europe de l’Est s’avèrent difficilement quantifiables. Dans la majorité des cas, ils investissent au travers de sociétés françaises ou de droit étranger. Leur part, comparable à celles des Suisses et des Scandinaves, avoisine le 1 % », précise Jérôme Renaud de Croisette Californie. Après les barons des matières premières, les Azuréens découvrent la bourgeoisie montante, prête à débourser entre 600.000 et 1 M € pour un pied-à-terre en ville. A l’instar de leurs prédécesseurs, ils privilégient le standing, la sécurité et la vue sur la Grande Bleue. Ils paient entre 15.000 et 35.000 €/m2 sur La Croisette, 10-15.000 € /m2 dans les résidences avec piscine de La Californie et ne boudent pas leur plaisir dans l’hyper-centre niçois et sur le Mont-Boron, l’autre valeur sûre de la Préfecture des Alpes-Maritimes. A l’histoire et la vieille pierre, ils préfèrent le confort moderne. Rapide dans la prise de décision et au fait de l’immobilier local, ils ne semblent pas souffrir des fluctuations des places financières dans les mêmes proportions que les Anglo-Saxons. Les hommes d’affaires aguerris visent le plaisir avant tout, ne poussent jamais spontanément la porte des agences et agissent systématiquement sur recommandations. « Contrairement aux idées reçues, cette clientèle est plus transparente et solvable que par le passé », renchérit le Président de la FNAIM de la Côte d’Azur.
D’après Aurélien Monnier de l’agence du Cap d’Antibes, elle achète, soit, mais multiplie aussi et surtout les séjours loués. Friande de services, elle reste trois mois sur place et n’hésite pas à s’acquitter, sur leur péninsule préférée, d’un loyer hebdomadaire compris entre 5000 et 20.000 €. Là encore, il convient de faire taire les préjugés. « Mes derniers états des lieux témoignent d’un comportement exemplaire », confie le spécialiste. La plupart des demeures de prestige du quartier antibois appartient aux Russes quand la deuxième vague cible des biens plus standards, entre 2 et 6 M €. Sur les dix premières fortunes de Russie, six auraient une maison sur le cap. « Seule ombre tableau : le micromarché doit composer avec une pénurie sévère de produits haut de gamme, monnayés entre 5 et 10 M € hors exception. Faute de solution, certains prennent la direction de Cannes ; d’autres se consolent en Sardaigne ou en Toscane. »
Au sein de la Cité des Festivals, quelques fameuses propriétés ont justement fait le bonheur des gens de l’Est. Rendue célèbre par les frasques de l’homme d’affaires algérien Khalifa, « Bagatelle » épouse la bannière russe en 2007 pour la modique somme de 22 M €. « Un montant en-deçà du potentiel des 5000 m2 habitables et de la parcelle de 18.000 m2 situés dans le quartier de La Californie », souligne Sylvain Boichut de l’agence John Taylor. La Tropicale, 1800 m2 sur un terrain de 6500 m2 au même endroit, connaît un sort similaire moyennant 26 M €. Un appartement de 220 m2 au Relais de la Reine, la résidence la plus prestigieuse de La Croisette, s’échange contre 6.750.000 €. L’acheteur n’a que 32 ans. « Les coûts précités demeurent, cependant, exceptionnels. Les premiers budgets russo-cannois flirtent avec les 3 M €, tandis que la transaction moyenne évolue, sur le segment individuel, entre 4 et 8 M € », nuance Sylvain Boichut. Les quadragénaires travaillent dans l’industrie ou la finance. La source mafieuse des fonds échappant difficilement au système d’acquisition français, la suspicion quant à leur moralité ne paraît pas fondée. Le retour en force des Moyens-Orientaux, largement évoqué en ce moment grâce notamment à l’origine des 31,5 M € déboursés pour l’achat des Palais Oriental et Florentin, n’atteint pas le niveau de l’Est. Les deux groupes saluent à l’unisson l’installation massive de nouvelles enseignes de la mode sur La Croisette opérée ces trois dernières années et les efforts consentis en matière d’accueil et de service. Si les Russes raisonnent en dollars, leur capacité budgétaire est bien supérieure à celle des Américains, que l’on retrouve côté vendeurs.
Sélect entre tous, le Cap Ferrat arbore une végétation luxuriante, des terrains plats et de magnifiques vues. L’absence de passage et la surveillance accrue lui garantissent un excellent niveau en matière de sécurité. Un attribut qui ne laisse pas insensibles les clients Russes. Pour une villa avec panorama Méditerranée, ils se délestent d’un minimum de 15 M €. Lorsque l’on interroge Arash Shams de Royal Riviera Immobilier sur les records de vente, la réponse reste évasive. Quelques sources permettent d’affirmer que plusieurs centaines de millions sont en jeu.
« Monaco prend la troisième place du classement des destinations chéries par les Russes », poursuit le responsable de RRI. Les Moscovites s’intéressent à la Principauté depuis 2001. Peu obtiennent le statut de résident. Même s’il existe, l’attrait fiscal ne l’emporte pas sur la qualité de vie, leur véritable motivation. Les grands appartements du Carré d’Or, équipés d’au moins trois chambres, entre 8 et 12 M €, remportent tous les suffrages. Férus de plaisance et souvent propriétaires de bateaux, ils affectionnent particulièrement Fontvieille, aiment les prestations et se positionnent, comme les Anglais, sur les luxueuses unités. Le montant moyen de l’achat russe est inversement proportionnel à la part de la nation sur le marché.
Relativement réduit, leur nombre sur la Côte d’Azur n’occulte pas moins la manne financière qu’ils représentent. Les agences immobilières se mettent à la langue et contractent auprès de réseaux étrangers. Des Russes Blancs aux oligarques du XXIe siècle, il n’y a qu’un pas, que des destinations telles que Marbella ou la Riviera italienne ne paraissent pas sur le point de perturber.
Par Laetitia Rossi